La déspécialisation du bail commercial

La déspécialisation du bail commercial

Un récent arrêt de la Cour de cassation (Cass. 3e civ. 9 février 2017) est venu préciser que le bailleur au titre d’un bail commercial peut refuser la demande de déspécialisation partielle faite par le locataire sans avoir à motiver sa décision.

Pour rappel, le contrat de bail commercial doit expressément mentionner l’activité que le locataire est autorisé à exercer dans les locaux commerciaux loués.

Il est néanmoins fréquent que le locataire souhaite étendre son activité commerciale à une ou plusieurs autres activités complémentaires ou connexes. Pour ce faire, il devra adresser au propriétaire bailleur une demande de déspécialisation partielle, par acte d’huissier ou par lettre recommandée avec accusé de réception, en précisant la ou les activités qu’il souhaite adjoindre à son activité commerciale. L’article L. 145-47 du Code de commerce prévoit à ce titre que “cette formalité vaut mise en demeure du propriétaire de faire connaître dans un délai de deux mois, à peine de déchéance, s’il conteste le caractère connexe ou complémentaire de ces activités”.

Ainsi, le bailleur au titre du contrat de location ne peut refuser la demande de déspécialisation partielle que s’il considère que l’activité pour laquelle est sollicitée une autorisation n’est pas connexe ou complémentaire à l’activité mentionnée dans le bail commercial. En cas de contestation, le même article L. 145-47 du Code de commerce prévoit que le Tribunal de Grande Instance est compétent pour trancher le litige, en se prononçant notamment en fonction de l’évolution des usages commerciaux. Il est à noter qu’en pratique, le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation du caractère connexe ou non de l’activité pour laquelle une extension est demandée. En l’absence de réponse du bailleur à la demande du locataire, alors ce dernier encourt la déchéance, c’est à dire qu’il perd tout droit à contester la demande de déspécialisation partielle.

Dans l’arrêt de la Cour de cassation, le locataire, qui exerçait une activité d’entretien et de réparation automobile avait demandé au bailleur une extension à l’activité de vente, pose et réparation pneumatique. Le bailleur s’était contenté de répondre, par lettre simple, qu’il refusait cette extension d’activité. Le locataire a alors assigné le bailleur en justice pour faire reconnaître l’extension d’activité en arguant du fait que le bailleur ne motivait nullement son refus en contestant le caractère connexe ou complémentaire de l’activité pour laquelle une extension était demandée. Le locataire souhaitait ainsi voir appliquée l’article L. 145-47 du Code du commerce en faisant reconnaître que le bailleur était déchu de ses droits à contester la déspécialisation partielle compte tenu de son absence de contestation du caractère connexe ou complémentaire de la nouvelle activité projetée par le locataire. Le locataire appuyait son argumentation par le fait que la forme de la réponse du bailleur, par lettre simple, ne pouvait pas valoir opposition valable, cette dernière devant être manifestée par acte extrajudiciaire (acte d’huissier).

Après avoir perdu en appel, le locataire a porté l’affaire devant la Cour de cassation. La Cour suprême a toutefois considéré que, sur le fond, la loi n’imposait pas au bailleur de motiver son opposition à la déspécialisation partielle et, sur la forme, l’envoi d’une lettre simple était suffisant à attester de la volonté du bailleur de contester cette extension d’activité.

Ainsi, l’article L. 145-47 du Code de commerce ne doit pas être lu comme imposant au bailleur d’indiquer pourquoi il conteste le caractère connexe ou complémentaire de l’activité pour laquelle une extension est demandée : il lui suffit simplement de manifester de manière claire et non équivoque son opposition. La Cour de cassation revient ainsi sur une position isolée qu’elle avait prise par un ancien arrêt de 1978.

A noter que la solution n’est pas la même en cas de demande de déspécialisation plénière (changement total d’activité) où la loi et la jurisprudence imposent au bailleur de signifier son refus par acte extrajudiciaire. C’est probablement inspiré de cette jurisprudence que le locataire pensait obtenir gain de cause en justice. Toutefois, là où l’article L. 145-49 du Code de commerce, relatif à la demande de déspécialisation plénière, exige une réponse du bailleur effectuée “dans la même forme” que la demande du locataire, l’article L. 145-47 demande simplement au bailleur de “faire connaître” son opposition au locataire. Cette différence de rédaction n’est pas anodine et c’est à juste titre que les juges ont considéré que la loi n’imposait aucun formalisme à l’expression de l’opposition du bailleur. La Cour s’en tient ainsi, tant sur quant au fond qu’à la forme, à une lecture des textes à la lettre.

A noter que la conséquence d’une telle décision tient simplement à la non déchéance du bailleur dans son droit à opposition, et certainement pas à la validation de cette opposition. Le litige sur le caractère connexe ou non de l’activité nouvelle devra ainsi être le cas échéant tranché devant le Tribunal de Grande Instance conformément aux dispositions légale. C’est dans ce cadre que le bailleur sera invité à motiver son opposition en contestant le caractère connexe ou complémentaire de l’activité pour laquelle l’extension est demandée.

 

Cet article est proposé par l’équipe de LegalPlace

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